Préparer un pigment
L’univers des pigments offre des couleurs intenses, chaleureuses et puissantes. La texture d’un pigment reflète sa propriété : vaporeux, poudreux, metalique… Je comtemple parfois ma « collection » rien que pour le plaisir, presque une sorte de fascination pour ces poudres d’une grande subtilité. Cela me fait souvent penser au village de Roussillon en Lubéron qui a exploité en son temps, un gisement naturel (le sentier des ocres) aux couleurs chaudes et profondes, tout à l’image de cette région chantante et colorée. Aujourd’hui, il est possible de visiter les ateliers d’extraction transformés en musée. Certains pigments sont naturels comme les ocres, d’autres sont issus d’un processus de synthèse chimique.
Je pense aussi à un voyage à Venise et ce petit magasin beaux-arts à la devanture vert forestier qui proposait des pigments magnifiques dont le fameux vert Véronèse.
Broyer un pigment remonte à la nuit des temps. Les hommes de Lascaux connaissaient ce procédé. Ils préparaient les pigments à peindre qu’ils appliquaient directement sur la roche. Le broyage des pigments s’est perfectionné au fil du développement des civilisations. L’huile de lin était connue dans l’antiquité et employée comme liant. C’est le peintre flamand Jan van Eyck, (début du XVe siècle) qui met au point et stabilise une nouvelle technique en associant de l’essence de térébenthine, de l’huile de lin et du pigment. Il obtient une pâte constistante qu’il peut conserver dans des poches. Ce procédé profite pleinement aux couleurs puisqu’elles conservent leur éclat, et l’huile amplifie leur brillance. Comme l’huile de lin à la propriété de sécher lentement (par oxydation), on peut travailler un pigment à l’huile durant plusieurs jours, voire des semaines.
L’industrie d’aujourd’hui à remplacé les techniques anciennes par des moyens modernes et rapides. Pour ma part, je n’achète plus de pigments tout préparé depuis plus de 15 ans. Je broie les pigments dont j’ai besoin avec toujours autant de plaisir. L’intérêt réside dans la déclinaison multiple de cette technique. Broyer un pigment à l’huile revient au même avec de la résine acrylique ou de la vinylique ; on emploie de la gomme adragante pour le pastel, de la gomme arabique pour la gouache et l’aquarelle.
En fonction du résultat picturale recherché, j’emploie la résine adéquate avec un dosage préalablement préparé et calculé (résine – eau – pigment). Par exemple, la fabrication du pastel se fait avec de la gomme adragante et de l’eau. Cette solution acqueuse ressemble à de la colle très liquide qui une fois mélangée au pigment donne une pâte. Après quoi, je travaille cette pâte jusqu’à ce qu’elle devienne lisse et brillante. C’est alors le signe qu’elle est prête pour l’étape suivante.
Je roule la pâte comme le fumeur roule sa cigarette dans du papier sulfurisé et j’obtiens un petit bâtonnet. Quelques heures après, la pâte en séchant est devenue dure et le pastel est prêt. Avec le mélange eau et gomme, le pastel peut-être plus où moins dur, tendre voire friable ; en ajoutant de l’huile par exemple on obtient un pastel gras. On peut ainsi fabriquer une grande quantité de pastel avec toutes les nuances désirées, tout cela pour une somme modique qui me permet d’utiliser ce principe « presque à l’infini ».
Pour la technique à l’huile, j’utilise de l’huile de lin clarifiée au soleil et selon les cas de l’huile de sésame qui adoucit et assouplit la pâte pigmentaire. Les qualités de conservation sont les mêmes que les produits du commerce. La différence réside dans le prix de revient et le choix de la teinte parfois très rare sur le marché. Comme je règle moi-même le dosage pigment-huile, cela me donne plus de liberté pour l’exécution technique. Le médium à fluidifier le pigment broyé, facilite l’exécution (glacis…) et vient compléter la technique de la peinture puisque lui aussi est préparé et dosé manuellement. Après plusieurs années de pratique, je n’ai pas constaté d’effet de craquelure prématuré signe que l’ensemble – de la préparation du support à l’exécution artistique – est de bonne qualité.